Charles Rojzman a créé le centre international de formations et d’interventions en Thérapie Sociale : l’Institut Charles Rojzman. Il est le fondateur de cette discipline, forme nouvelle de psychothérapie et d'éducation à la vie démocratique. Il assure avec son équipe depuis plus de vingt ans la préparation d'acteurs de terrain et de personnels des services publics de tous niveaux à l'exercice de leur profession dans un contexte de crise et parallèlement, mène des interventions qui réunissent des groupes et des personnes séparés par des peurs, des haines ou des préjugés en France et à l’étranger. Il enseigne la Thérapie Sociale à l’université Temple de Philadelphie aux Etats-Unis.La reconnaissance au niveau national et international de ce mode d’intervention et de formation l’amène depuis une quinzaine d’années à former des professionnels à ce nouveau métier.


Charles Rojzman est l'auteur d’une dizaine d’ ouvrages:

- La peur, la haine et la démocratie, réédition en poche Desclée de Brouwer 1999
- Freud, un humanisme de l'avenir (Desclée De Brouwer 1998)
- Comment ne pas devenir électeur du Front national avec Véronique Le Goaziou, Desclée de Brouwer 1998
- Savoir vivre ensemble, agir autrement face à la violence et au racisme, avec Sophie Pillods, Syros et La Découverte 1998, réédité en poche La Découverte, « Poche Essais » 2001
- Les banlieues, avec Véronique Le Goaziou, collection Idées reçues au Cavalier bleu, 2001)
- C’est pas moi, c’est lui. Ne plus être victime des autres, avec Théa Rojzman, éditions JC Lattès, 2006.
- La réconciliation, roman graphique, avec Théa Rojzman, Jean-Claude Lattès, Paris, 2007
- Sortir de la violence par le conflit, La Découverte 2008
- Bien vivre avec les autres Larousse 2009

La plupart des pays de la Région des Grands Lacs ont été et sont toujours ravagés par les conflits internes et se retrouvent par conséquent confrontés aux problèmes de traumatismes, de réconciliation, de mauvaise gouvernance et de pauvreté. Depuis la fin des années 1950, le Burundi, le Congo et le Rwanda ont connu des violences périodiques et des conflits ethniques qui sont allés en s’amplifiant.
Actuellement, le Rwanda est encore aux prises avec les conséquences du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 et avec les problèmes liés à son histoire, marquée par les divisions à caractère ethnique. Le tissu social reste profondément déchiré. Une recherche menée au Rwanda en 2007 sur les violences domestiques livre les chiffres suivants : 42% des enfants et 41% des femmes ont été victimes de viols ; plus largement, 57% des femmes et 25% des enfants sont ou ont été victimes de violences physiques.
Près de 30% des Rwandais souffrent de troubles post-traumatiques, 50% souffrent de dépression, tandis que près d’une personne sur cinq souffre d’alcoolisme et / ou de toxicomanie. Toutes ces données témoignent du fait que les communautés sont en plein désarroi et que beaucoup d'individus sont livrés à eux-mêmes, incapables de maîtriser leurs pulsions instinctives.
Plus de sept Rwandais sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté et ne peuvent pourvoir à leurs besoins de base. Les problèmes sont classiques : forte croissance démographique, taux élevé d’analphabétisme, agriculture de subsistance ne parvenant pas à nourrir correctement la population, ressources énergétiques et tissu industriel déficients, inégalités sociales criantes, chômage ou sous-emploi massifs. Cette pauvreté est source de conflits dans les familles comme entre les voisins et freine toutes les initiatives en vue de la construction d'une paix durable au Rwanda.
Le professeur Simon Gasibirege, l'un des plus éminents psycho-sociologues du pays, déclarait encore en 2004 : "Je pense qu'entre 15 et 30 % des Rwandais sont d'avis qu'on ne peut gouverner ce pays qu'au moyen du génocide. Un tiers au moins pense en catégories ethniques et travaille dans cet esprit parmi la population. (…) Parmi les 11000 détenus de la prison de Butare, entre 6 et 7 000 sont convaincus de ne pas avoir achevé le "travail" (le génocide)."
Mon intervention au Rwanda consiste à former à la Thérapie Sociale des acteurs sociaux appelés à intervenir à tous les échelons de la société rwandaise : écoles, dispensaires, prisons, pénitenciers où sont détenus les acteurs du génocide, communautés villageoises, etc… Cette formation vise, selon ses organisateurs, au "renforcement de la capacité à vivre ensemble et à la promotion de l’harmonie familiale au Rwanda par laThérapie Sociale". Cette formule présente à mon avis l'avantage de pointer immédiatement ce qui pourrait apparaître comme un grand écart entre deux niveaux de réalité sur lesquels la thérapie est censée intervenir : les conséquences dramatiques du génocide d'un côté, les violences intra-familiales de l'autre.
Or, l'un des aspects les plus intéressants de mon travail est justement de ne pas déconnecter ces niveaux : il n'y a pas d'un côté les séquelles dramatiques du génocide qui seraient dignes de toutes les attentions des spécialistes internationaux, et de l'autre des violences banalement quotidiennes que l'on pourrait laisser aux praticiens et acteurs sociaux africains. Pour moi, la violence génocidaire et la violence des rapports sociaux usuels coulent de la même source et risquent de s'alimenter réciproquement dans un processus de répétition à l'infini. La violence génocidaire, même si elle résulte de déterminants historiques complexes, est aussi l'expression ultime, paroxystique, de la violence ordinaire, celle de la cour de l'école, des conflits de voisinage ou conjugaux. Il est vain de vouloir agir sur l'une sans s'attaquer en même temps à l'autre.
La violence sur laquelle je tente d'agir là-bas, en formant des acteurs de terrain pour la combattre au jour le jour, n'est pas une violence spécifiquement rwandaise ou africaine. C'est la raison pour laquelle je ne focalise pas mon action uniquement sur les séquelles du génocide, mais l'élargit à la violence contemporaine dans le pays, celle du quotidien, celle que l'on retrouve bien sûr au sein des familles déchirées et des communautés divisées par le grand traumatisme de 1994, mais aussi celle, beaucoup plus banale, qui gangrène les rapports conjugaux, qui règne dans les cours d'école, dans les prisons, les hôpitaux, dans toutes les institutions du pays. Le génocide, à bien y regarder, n'est autre que la conséquence ultime et monstrueuse d'une imbrication de diverses formes de violence aux déterminants multiples : le réduire à un embrasement interethnique aussi soudain qu'indéchiffrable, ou bien à un règlement de comptes social sur fond de rivalités économiques, ou encore à une conséquence annexe de soubresauts géopolitiques dans la région des Grands Lacs, c'est s'empêcher d'en voir les ressorts psychiques universels, donc d'en tirer les leçons pour nous.
De telles considérations ne seront tenues pour totalement absurdes que si l’on s’acharne à nier la part de peur, donc de haine et de violence qui est notre lot à tous. La violence, j’en ai été victime, mais aussi coupable. Et c’est grâce au travail sur sa propre violence que j’ai pu, par un cheminement long et difficile, non seulement en comprendre les racines, mais aussi élaborer des outils pour la vaincre, et pour aider les autres à faire de même.

 

Charles Rojzman

 

psychothérapeute, fondateur de la Thérapie Sociale